T’es partie à l’au-delà. Ton tour est arrivé. Etais-tu assez âgée pour être appelée ? Avais tu vécu tout ce qui était à vivre ? La vie aurait pu te gâter mieux. Malgré tout, tu ne t’es jamais plaint.
Bien sûr, lorsque tu as souffert de la douleur physique tu t’es plaint, comme tout le monde, mais tu n’as jamais crié à l’injustice de la vie que tu as dû vivre. Certes, elle aurait pu être pire, mais, ne méritais-tu pas une vie meilleure ?
Sans le vouloir expressément, je passe en revue des moments de mon enfance. Ce sont des flashes, des instantanées. Rien qu’à les évoquer j’ai la gorge qui se noue et les larmes me viennent aux yeux.
Oui, je pleure. Qui a dit que les hommes ne pleurent pas ?
J’ai six ou sept ans. Tu fais un gâteau quatre quarts. A la maison on ne connaît point de batteur. C’est moi le préposé à battre les blancs en neige avec une fourchette et mon enthousiasme infantile.
Je me régale déjà, lorsque le tout sera mélangé, de pouvoir racler le fond du récipient.
Le goût un peu sablonneux et piquant de la levure. Heureusement qu’à l’époque on ne connaissait pas non plus les lèche plats.
Tu es assise à la terrasse avec tes sœurs ou les voisines. Vous cousez, vous tricotez. Il fait chaud, nous, enfants, en tenue légère, jouons avec nos minuscules figurines, deux chevaux en plastique, un indien et un éclaireur suffissent pour recréer le western américain avec une imagination débordante.. Vous écoutez « la novela : Simplemente María», le roman radiophonique.
Puis le « consultorio de la Sra. Francis » sorte d’émission de consultation psychologique et médicale où toute sorte de conseils sont demandés et donnés.
A la suite, pendant, ou avant vient l’espace musical avec des chanteurs de l’époque : Nino Bravo, Camilo Sexto, Junior, Juan Pardo, Karina, Mari Trini, etc.
Que d’après midis se sont passés ainsi. Le goûter, une simple tartine avec un peu de margarine « Tulipan » ou un morceau de chocolat coupé en petits bouts avec autant de morceaux de pain pour s’assurer que le chocolat ne disparaisse pas avant le pain.
Combien de fois ne m’as-tu pas demandé d’aller faire un course ou autre. Parfois je râlais parce que justement j’étais à un bon moment de mon jeux. Je suis sur que si tu avais pu tu m’aurais laissé jouer et tu serais allée toi-même. Hélas, la nature t’avait condamnée dès ton plus jeune âge avec la polio.
A force de voir sa mère plus âgée que soi, on oublie qu’elle a, un jour, été jeune. Qu’elle a eu aussi ses inquiétudes, ses expériences, sa vie.
Je n’ai pas eu l’occasion de te le dire, mais j’ai réussi a trouver le livre « d’Andalousie à La Bisbal ».
Lorsque je lis des passages, les récits me font penser à toi. Tu en faisais partie. Quitter ton village Cuevas Bajas, avec tes parents, frères et sœurs à la recherche d’un monde meilleur. Le travail la bas, quand il y en avait, c’était dur pour très peu de solde. Ici pour la plupart de femmes c’était aller servir (bonne à tout faire) dans des familles d’un certain standing. Les hommes c’était le plus souvent l’usine.
Le barrage de la langue, le choc des cultures, le gris des maisons par rapport au blanc d’Andalousie.
Vous vous en êtes accommodés.
J’imagine qu’au début vous vous êtes retrouvés dans de sorte de ghettos (sans connotation péjorative). Probablement vous avez souffert aussi d’un peu de xénophobie. Peu à peu, nous, les enfants avons commencé à faire le lien des cultures. Les enfants qui jouent dans la rue, ne sont pas regardants à la langue. Ils jouent, c’est tout.
Après tant de jours d’hôpital tu sentais arriver ton heure. Tu n’as jamais été dupe même lorsque nous avons fait semblant que tout allait bien, tout en sachant le déclin qui s’annonçait.
Pour toi, le fait que je sois là annonçait que l’affaire était grave. Tu as fait semblant de croire que j’étais venu pour alléger la charge de mes sœurs. Que la doctoresse te laisse manger ce que tu souhaitais était aussi un signe révélateur de la situation, le dernier plaisir accordé au condamné.
Aussi lorsque tu m’as demandé combien de jours le docteur te donnait encore, montrait que tu étais très lucide. Une manière à toi de nous dire gentiment qu’on ne t’avait pas, malgré tout, fait marcher.
D’ailleurs ce Noël tu insistais plus particulièrement à ce que l’on fasse une photo tous ensemble car cela pouvait en être la dernière.
Je suis triste mais malgré tout je suis soulagé de savoir que tu ne souffres plus.
Je garderai en souvenir l'étincelle dans tes yeux et ton sourire radieux lorsque ne m’attendant pas je suis apparu sur le pas de la porte, mardi passé. Sans doute tu n’espérais plus me voir.
Malgré ton état tu comprenais et acceptais très bien que je sois en Belgique. En janvier tu m'as dit toi même de rentrer, que mes enfants avaient besoin de moi.
Te tenir la main lorsque par moments tu paniquais, te tenir compagnie et veiller ton sommeil m’ont permis de t’accompagner, de partager une partie de tes derniers moments.
Tu pars, tu es partie. Certes, je ne te reverrai plus jamais. Ce sera un vide auquel il faudra s’habituer. Pour ton dernier voyage tu n'as point besoin de quoi que ce soit. Tu peux partir légère, âme en paix, car tu as été un modèle de courage et discrétion.
Sache que je suis fier d’avoir été ton fils et je te remercie de m’avoir élevé comme je l’ai été.
Au revoir Maman.
Au revoir Maman.
Je profite de cette petite fenêtre sur le monde pour remercier tous ceux qui m’ont fait parvenir des mots d’encouragement, de soutien.
Avant de faire le pas, de faire circuler la nouvelle, je me demandais qu’elle en était l’utilité finale de ce geste et si nous ne le faisions que parce que cela avait toujours été ainsi.
Aujourd’hui je mesure et comprends mieux la portée de l’action car, savoir, recevoir ces mots de réconfort de ses connaissances, de nos connaissances, de nos amis me font sentir moins seul face à cette situation irréversible.
Merci de tout coeur pour votre soutien.
Antonio
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